Les États Unis, à l’origine de l’ordre international libéral fondé sur le droit, a opéré un changement radical de paradigme en basant désormais les relations internationales sur la seule raison de la force. Ce bouleversement est extrêmement dangereux, pour l’Ukraine mais aussi pour l’Europe et pour le Monde. La Russie s’est également engagée sur cette voie, demain la Chine et d’autres États pourraient lui emboiter le pas.
Face à ce constat, l’Europe doit agir, poser des actes, assurant son autonomie stratégique, que ce soit en matière de défense, en matière énergétique, agricole, de santé ou dans le cadre des relations commerciales.
En 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a sonné le tocsin du péril russe.
Aujourd’hui, la politique impérialiste menée par Donald Trump nous a fait comprendre la nécessité de construire notre propre autonomie stratégique.
Avec ce double électrochoc, l’Europe, pour assurer la paix, doit se réveiller et passer de l’ère de la naïveté à l’ère de l’économie de guerre. Elle ne peut pas se permettre de paraître fragile et indécise. La première exigence, c’est de parler d’une seule voix. Pour être entendue sur la scène internationale, l’Europe doit être forte face à la Russie et aux États Unis avec un couple franco-allemand puissant et en mesure de lutter contre les extrêmes.
Priorité industrielle et politique commerciale doivent aller de pair. Donald Trump n’est pas le défenseur du monde libre mais bien un deal man. Son objectif se résume à imposer son monde et sa conception de non civilisation à l’Europe, n’hésitant pas à recourir à l’imposition de droits de douane. Or, déclencher une guerre commerciale n’est dans l’intérêt de personne, ni des États Unis, ni de l’Europe. Toutefois, l’Europe l’a dit, elle ripostera comme elle l’a fait en 2018, en imposant des mesures de rétorsion sur des produits stratégiquement choisis. La politique commerciale est une compétence européenne exclusive. La réponse doit donc être européenne.
Avec Donald Trump nous sommes dans une relation de rapport de force. Auteur “The Art of the Deal”, il se définit comme un négociateur. Conscients que les États Unis sont une superpuissance, qui n’a plus besoin de ses anciens alliés, il commercialise et échange tout, que ce soit en matière commerciale, de défense, de migration ou encore en ce qui concerne la paix en Ukraine avec la volonté de s’accaparer les terres rares ukrainiennes, etc. Il met la question commerciale au centre de négociations plus larges que sont celles de la paix en Europe. Ayant en ligne de mire la Chine, Donald Trump conscient du danger politique et économique qu’elle représente, n’hésite pas à sacrifier le Président Zelinski, le traitant de « dictateur » alors qu’il a toute la légitimité démocratique. Sa priorité ultime est de découpler la Chine de la Russie, à n’importe quel prix.
On le sait le libre-échange a permis d’élever le niveau de vie en Europe. Nous sommes d’ailleurs favorables aux accords de libre-échange pour autant qu’ils soient cohérents avec nos normes européennes. Ce qui n’est pas le cas dans l’accord UE-Mercosur qui fait de l’agriculture la variable d’ajustement. Le commerce doit faire grandir notre modèle social et environnemental et non pas le détruire. Dès lors, nous restons opposés à la ratification de cet accord en l’état. Nous devons protéger nos filières agricoles contre la concurrence déloyale et assurer une fois encore notre autonomie stratégique en la matière. « Il est temps d’apprendre de nos erreurs. Après avoir perdu la course sur les panneaux solaires, les batteries, les puces électroniques, l’acier, l’IA…voulons-nous perdre aussi notre capacité à produire notre alimentation ? »
Nous devons aussi travailler à notre autonomie stratégique en matière de défense. L’économie de guerre est devenue une réalité. Les Chefs d’États et de gouvernement en ont clairement pris la mesure en écoutant les paroles lancées par le Vice-Président américain, J.D. Vance, à Munich, foulant aux pieds la relation transatlantique et consommant la rupture avec l’Europe. La récente rencontre entre les Présidents Emmanuel Macron et Donald Trump, tout comme le vote, au même moment, de la résolution à l’occasion du troisième anniversaire de la guerre en Ukraine à l’Assemblée générale des Nations Unies, traduisent un renversement des alliances.
Préparer les esprits en disant la vérité aux citoyens, accélérer les investissements, augmenter nos budgets, agir de façon coordonnée et se libérer de la dépendance des États Unis par un renforcement majeur du pilier européen au sein de l’OTAN sont les prochaines étapes de la consolidation de notre autonomie stratégique et le signe tangible du réveil européen. Nous devons nous servir de ce basculement dans les relations transatlantiques pour nous doter d’une défense qui nous est propre.
Cela fait 3 ans que l’Ukraine est victime de l’invasion russe. Elle mérite une paix juste et durable à ses conditions. Le plan de paix en Ukraine ne peut pas se négocier sans les Ukrainiens ni les Européens. Les Américains sont-ils toujours les alliés de l’Europe et de l’Ukraine ? On peut l’espérer et il faut y travailler. Les USA sont un allié nécessaire car si ce n’est pas le cas, après l’Ukraine, la Russie portera ses ambitions impériales sur la Géorgie, la Moldavie, les pays Baltes, la Roumanie (politiquement) visant ainsi directement l’Europe.
L’humiliation subie par le Président Zelinsky à New York n’est pas admissible et traduit une nouvelle réalité : un axe Trump/Poutine. Le Sommet européen extraordinaire de Londres, avec le Canada, la Norvège et la Turquie est un signal du réveil européen, d’un contrepoids au couple Trump-Poutine, d’un sursaut européen aux attaques du président Trump sur la léthargie européenne en matière de défense, une réponse du soutien de l’UE et de l’OTAN (sans les USA) au Président Zelinsky, une réponse de la résistance de l’UE (sans la Hongrie) à l’axe de Poutine-Trump. Les couples Franco-allemand et franco-britannique sur la défense européenne sont une chance de la bonne fortune de l’histoire pour se montrer uni, solidaire, et donc fiable. À Londres, l’objectif premier est de créer une cohérence politique. Nous ne pouvons pas tomber dans le piège de 2003 (guerre en Irak), nous ne devons pas nous laisser nous diviser. Nous devons décider de garantir la sécurité européenne, construire un plan de défense européenne de centaine milliards d’euros avec le soutien de la BCE, nous devons décider de la protection nucléaire franco-britannique au service de l’Europe. Il faut un cessez-le-feu (une trêve de 30 jours, dans les airs, sur les mers et sur les infrastructures énergétiques), un plan de paix et une force d’interposition sur le terrain, à défaut des garanties pour les Ukrainiens. Au niveau européen nous devons construire cette Europe de la défense, avec ceux qui veulent avancer à travers la coopération renforcée. À un niveau plus large, on peut penser à une task force de défense avec les membres de l’OTAN prêts à faire l’effort.
Nous espérons vivement que l’idée de communauté d’intérêts peut encore trouver un écho chez le Président américain, à défaut de celle de communauté de valeurs. Les États Unis veulent se faire rembourser et donc se faire payer sur les terres rares. D. Trump a besoin d’un accord et ne peut rompre définitivement le dialogue avec le Président Zelinsky. D’un autre côté, sans les USA, l’Ukraine ne tiendrait pas plus de 6 mois. La réconciliation est de l’intérêt de chacun.
L’autonomie stratégique n’est pas une vaine expression. Elle est une réalité qui prend toute sa signification dans ces moments historiques. Si l’Union européenne veut jouer à armes égales dans la cours des grands, elle doit s’affranchir de sa dépendance économique avec la Chine, de sa dépendance militaire avec les États Unis et de sa dépendance énergétique avec la Russie, et devenir une Europe puissante.